Chambre 215
DIMANCHE, 18h30.
- S'il vous plaît, Madame, vous voudrez bien arrêter le ventilateur? Le soir tombe et les nuits sont encore fraîches.
- Bien sûr, Monsieur, je ne suis pas là uniquement pour les soins. Si je peux aussi aider au confort des patients...
La journée s'achève dans une demi somnolence : il n'y a rien à faire dans cette chambre, sinon se tourner et retourner sur le lit en prenant garde de ne pas emmêler les perfusions. Ce matin, j'étais aux Urgences et maintenant, je passe le temps à regarder s'écouler les goutte-à-gouttes, comme on ferait avec un sablier. Lorsqu'un flacon est vide, une infirmière vient le remplacer. Je ne sais alors si le temps est infini ou s'il est immobile, toujours le même ; horloge arrêtée, ressort cassé qu'on essaye vainement de relancer. Sisyphe...
- Je vous mets un antalgique.
Oui, c'est cela : éviter la douleur, éviter qu'elle reprenne le dessus et envahisse tout. Je pense à la mer, aux flots implacables et aux digues que les hommes dressent face à leurs assauts aveugles. Pourvu que celles-ci tiennent ! Le corps et l'esprit semblent si fragiles lorsque la douleur redouble.
MARDI, 8h45.
- Courage, Monsieur, nous allons bientôt vous préparer.
Ah, enfin ! Le temps va s'accélérer. Et un peu plus tard en effet, sur mon lit à roulettes, je vois défiler le plafond, les lumières blafardes. L'hôpital est un long labyrinthe. Le chariot ralentit, un dernier virage, un dernier sas et s'arrête.
- Respirez profondément, Monsieur.
Juste le temps de regarder une horloge au mur : il est 11 heures... Il est 15 heures. Je me réveille. Le boyau qui ramène à la chambre semble plus court qu'à l'aller. La douleur, une autre, se réveille elle aussi, sous les pansements. Le ballet des infirmières ne faiblit pas. Seringues, flacons, tension, pouls, surveillance rapprochée. Somnolence encore, entrecoupée d'élancements fulgurants. Le corps déchiré, meurtri, lutte et, dans cette première nuit blanche, cherche le repos et la guérison. Au petit jour, espoir et déception mêlés.
- Tout va bien, Monsieur ?
Un geste, une parole font plus que les drogues : ils apaisent l'âme et la douleur devient supportable. Aller à l'hôpital, c'est confier sa vie aux autres pour qu'ils la réparent. C'est aussi affronter des orages de douleur. La convalescence, c'est se réapproprier le cours de sa vie. Les gestes du quotidien sont très inconfortables et demandent aide. Mais peu à peu, les rouages se dégrippent, les automatismes se remettent en place. Il y a quelque chose de l'enfance dans ce réveil : d'abord s'abandonner dans les bras accueillants maternels, pour finalement (ré)apprendre à s'en écarter, s'en détacher.
SAMEDI, 6h30.
Voici une semaine que je suis immobilisé ici. Tout au long de mon séjour, il aura fait beau dehors et ce matin ne déroge pas. Bientôt, on débranchera ma perfusion. Quel soulagement de pouvoir enfin bouger, libre des deux mains, se déplacer sans avoir à se demander si la perche va pouvoir passer, vérifier que les tuyaux ne s'enroulent pas autour du mât, réduisant d'autant mon autonomie de mouvement. Dernier cordon ombilical me reliant à l'hôpital.
Remettre ses vêtements de ville.
Je ne serai plus le monsieur de la 215.
J'ai parlé de flots, d'orages, du temps, de l'infini, de l'enfance, de l'espoir. Une semaine d'hôpital, c'est un peu la métaphore d'une traversée d'océan avec ses tumultes et ses apaisements. Une vie...
- S'il vous plaît, Madame, vous voudrez bien arrêter le ventilateur? Le soir tombe et les nuits sont encore fraîches.
- Bien sûr, Monsieur, je ne suis pas là uniquement pour les soins. Si je peux aussi aider au confort des patients...
La journée s'achève dans une demi somnolence : il n'y a rien à faire dans cette chambre, sinon se tourner et retourner sur le lit en prenant garde de ne pas emmêler les perfusions. Ce matin, j'étais aux Urgences et maintenant, je passe le temps à regarder s'écouler les goutte-à-gouttes, comme on ferait avec un sablier. Lorsqu'un flacon est vide, une infirmière vient le remplacer. Je ne sais alors si le temps est infini ou s'il est immobile, toujours le même ; horloge arrêtée, ressort cassé qu'on essaye vainement de relancer. Sisyphe...
- Je vous mets un antalgique.
Oui, c'est cela : éviter la douleur, éviter qu'elle reprenne le dessus et envahisse tout. Je pense à la mer, aux flots implacables et aux digues que les hommes dressent face à leurs assauts aveugles. Pourvu que celles-ci tiennent ! Le corps et l'esprit semblent si fragiles lorsque la douleur redouble.
MARDI, 8h45.
- Courage, Monsieur, nous allons bientôt vous préparer.
Ah, enfin ! Le temps va s'accélérer. Et un peu plus tard en effet, sur mon lit à roulettes, je vois défiler le plafond, les lumières blafardes. L'hôpital est un long labyrinthe. Le chariot ralentit, un dernier virage, un dernier sas et s'arrête.
- Respirez profondément, Monsieur.
Juste le temps de regarder une horloge au mur : il est 11 heures... Il est 15 heures. Je me réveille. Le boyau qui ramène à la chambre semble plus court qu'à l'aller. La douleur, une autre, se réveille elle aussi, sous les pansements. Le ballet des infirmières ne faiblit pas. Seringues, flacons, tension, pouls, surveillance rapprochée. Somnolence encore, entrecoupée d'élancements fulgurants. Le corps déchiré, meurtri, lutte et, dans cette première nuit blanche, cherche le repos et la guérison. Au petit jour, espoir et déception mêlés.
- Tout va bien, Monsieur ?
Un geste, une parole font plus que les drogues : ils apaisent l'âme et la douleur devient supportable. Aller à l'hôpital, c'est confier sa vie aux autres pour qu'ils la réparent. C'est aussi affronter des orages de douleur. La convalescence, c'est se réapproprier le cours de sa vie. Les gestes du quotidien sont très inconfortables et demandent aide. Mais peu à peu, les rouages se dégrippent, les automatismes se remettent en place. Il y a quelque chose de l'enfance dans ce réveil : d'abord s'abandonner dans les bras accueillants maternels, pour finalement (ré)apprendre à s'en écarter, s'en détacher.
SAMEDI, 6h30.
Voici une semaine que je suis immobilisé ici. Tout au long de mon séjour, il aura fait beau dehors et ce matin ne déroge pas. Bientôt, on débranchera ma perfusion. Quel soulagement de pouvoir enfin bouger, libre des deux mains, se déplacer sans avoir à se demander si la perche va pouvoir passer, vérifier que les tuyaux ne s'enroulent pas autour du mât, réduisant d'autant mon autonomie de mouvement. Dernier cordon ombilical me reliant à l'hôpital.
Remettre ses vêtements de ville.
Je ne serai plus le monsieur de la 215.
J'ai parlé de flots, d'orages, du temps, de l'infini, de l'enfance, de l'espoir. Une semaine d'hôpital, c'est un peu la métaphore d'une traversée d'océan avec ses tumultes et ses apaisements. Une vie...
Imprimer | Commenter | Articlé publié par François Boussereau le 21 Juin 20 |