Au fond du salon, dans l'angle le plus sombre, un poste de télévision éteint. C'est déjà moche quand c'est allumé, mais éteint, c'est lugubre. Il faut dire aussi que c'est un vieux poste, et que le ménage n'est plus fait souvent. Le tube bombé, terne et vaguement verdâtre est recouvert d'une fine couche de poussière grasse. Que se passerait-il si on l'allumait? Un petit grésillement sans doute comme faisaient tous les tubes cathodiques, mais peut-être aussi au bout de quelques instants, une odeur de moisi qui chauffe, une petite étincelle, puis rien. Le monde de dehors refuse de s'inviter dans un tel décor. Le monde de dehors n'accepte plus que les écrans plats, le high-tech dernier cri qui sera démodé demain. Mais ici, le temps est resté figé.
Dans l'angle opposé, un fauteuil. Les accoudoirs autant que l'assise sont lustrés d'avoir accueilli si longtemps les fatigues du maître des lieux. L'espace entre le fauteuil et le poste de télé est occupé par un tapis râpé. Neuf, il fut bordeaux, mais, par endroits et à force de tant de passages, il laisse paraître la chaîne de corde grossière. Posée sur ce tapis, une petite table basse recouverte d'un napperon au crochet. Un vase vide trône au milieu, et tout à côté, un cadre en argent ciselé montre le portrait jauni d'une jeune femme au large sourire portant dans ses bras une gerbe de fleurs des champs.
Dans la pièce attenante, à voix basses, les héritiers...