On dit muet comme une carpe. Alors, pour les carpes, je ne sais pas: je n'ai jamais essayé de les faire parler. Mais figurez vous que l'autre jour, j'ai eu une drôle de surprise en observant mon poisson rouge.
Je le trouvais bizarre: d'habitude, il tourne en rond comme font tous les poissons rouges dans leur bocal. Or là, il fonçait tout droit sur la paroi de verre, s'arrêtait net avant de toucher l'obstacle, reculait et revenait à la charge dans ma direction. Pour voir si c'était du pur hasard, je me déplaçai d'un pas sur le côté mais rien n'y fit: il fonça de nouveau vers moi.
- Oh toi, mon coco, tu veux me dire quelque chose.
A mon grand étonnement, il me sembla le voir dire "oui". Enfin, c'est ce que j'ai interprété au mouvement de sa bouche.
- Tu t'ennuies?
- Oui.
- Tu as faim?
- Non.
- Ton eau est trop froide? trop chaude? trop sale?
- Non.
Plus je le questionnais, plus il semblait s'énerver. Puis, sous la forme d'une sorte de danse que je finis par comprendre, il me dit: je veux une compagne, partir en voyage; mon bocal est trop petit. Fais ça pour moi, s'il te plait!
J'étais abasourdi. J'allai à l'animalerie et revins avec un grand aquarium et un autre poisson en espérant que ce fut bien une femelle.
Après un temps d'observation, ils semblaient s'apprivoiser l'un l'autre.
Le lendemain il revint vers moi et me dit, mais avec des mots, ses mots à lui cette fois ci:
- Tu sais, nous, les poissons, on a trop peur des gens, alors on leur parle pas. Mais avec toi, c'est pas pareil: tu sais nous observer, je manque de rien, alors j'ai confiance.
Il sembla hésiter un instant, puis poursuivit:
- J'aimerais que tu nous emmènes au Japon. Mes ancêtres m'ont dit cette nuit que là-bas, on nous vénère. Je suis pas encore trop vieux et ma nouvelle amie a trop envie elle aussi...
J'étais estomaqué! Je ne fis ni une ni deux: j'entrepris d'organiser un long voyage en bateau (on ne sait jamais, si on coule, peut-être que eux survivront) jusqu'à Tokyo avec mes deux poissons.
Un mois plus tard, nous commencions notre pélerinage au Mont Fuji. Arrivé à pied d'oeuvre, j'aperçus un temple tout simple un peu en retrait du sentier. Très ému, je déposai mes poissons dans un bassin que je voyais là. Je leur fis un signe de paix de la main. Eux aussi semblaient très émus, tout tremblants de leurs nageoires. En coeur, ils me dirent:
- Tu peux repartir maintenant si tu veux. Tu as accompli une grande chose pour nous. Désormais, il t'arrivera rien de contraire.
De retour chez moi, je retournai à l'animalerie.
J'achetai une volière et un serin.