Mais qui est donc ce visiteur? Il est entré chez moi sans même frapper. Bon, d'accord, la porte d'entrée, qui donne aussi sur la cuisine, était grande ouverte. J'avais sorti un gâteau au chocolat du four: comme ça sentait bon! Puis j'avais lu un peu au salon en attendant qu'il refroidisse. Et maintenant, merde!!! Je ne vois plus le gâteau! Le pire, c'est que je l'avais fait tout exprès pour le chien du voisin qui n'arrête pas d'aboyer toute la journée. J'avais mis un peu de mort-aux-rats dans la pâte...
Sniff, il va falloir que j'aille voir le voisin pour éviter un malheur. Et si c'est pas le voisin? AÏe aïe aïe !!!
Heureusement, avec toute la neige tombée ces derniers jours, je vais pouvoir le suivre à la trace. Mais arrivé à la porte, ce n'est pas une, mais des dizaines de traces, dans tous les sens, comme si la personne avait cherché à m'embrouiller. Mais une attira mon attention: des miettes de gâteau accompagnaient les traces, comme l'avait fait il y a bien longtemps le Petit Poucet.
J'étais quand même très intrigué, surtout que j'avais l'impression qu'elle ne menaient nulle part. Mais je suivais, sûr que j'allais découvrir qui avait volé mon gâteau.Il faut vous dire que j'habite au fond d'un bois dans une sorte de grande clairière où il n'y a que deux maisons, et que les traces ne faisaient que m'éloigner de chez moi. Parfois je courais en espérant rattraper mon voleur, mais rien n'y faisait vraiment. D'après mon sens de l'orientation, j'avais surtout la désagréable impression de parcourir un grand cercle et, au vu des traces de gâteau, il ne devait pas en rester beaucoup entre les mains du type. Tant et si bien qu'au bout d'un moment, les miettes disparurent.
Et qu'au bout d'un autre moment, je me retrouvai devant la porte de chez mon voisin.
Il était assis sur son banc de pierre, son chien à ses pieds. Il fumait tranquillement sa pipe. Comment a-t-il pu?... Je pris mon air le plus sérieux: "Belle journée, n'est-il pas?" et lui, un drôle de sourire au coin des lèvres "Il est, en effet. Belle promenade dans la neige, n'est-il pas?..." Le chien continuait son roupillon. Je ne sus rien rajouter et rentrai chez moi, perplexe.
Plus tard, je ne sais pas, quelqu'un frappe à ma porte. Je me réveille en sursaut. Mince, j'ai donc rêvé que j'empoisonnais le chien du voisin? "Ah, c'est toi, voisin, qu'est-ce qui t'arrive? Je somnolais, j't'ai pas entendu arriver." "Ben... voilà... heu... t'aurais pas vu ou entendu mon chien, par hasard?" "Ben non, j'te dis: j'me r'posais. T'as vu des traces dans la neige?" "Ben non; mais dis donc, t'aurais pas un peu bu avant la sieste? On est en juillet: la neige..." "Ah oui, c'est que j'arrive pas à sortir de mon rêve. Mais bon, on va aller le chercher ton chien"
Et nous voilà partis tous les deux: l'un voulant récupérer son chien, l'autre espérant bien ne surtout pas le revoir. On fait des cercles concentriques autour de nos maisons; on repasse même à l'endroit où j'avais rêvé les traces de gâteau, mais il faut bien se rendre à l'évidence: le clébard a disparu. On continue nos recherches, de plus en plus loin de notre clairière. Les bruits de la grand-route se rapprochent. Lui me dit "Oh, ça sent pas bon, ça" "Oui, je crains le pire pour ton chien" je dis, faussement inquiet. Arrivés à l'aire de pique-nique, que ne voit-on pas? Une famille attablée faisant quatre heures et le chien faisant le beau!. "C'est à vous, c'clébs?" "Ben oui, on l'cherche, ça fait plus d'une heure maintenant. I'vous embête, hein?" "Oh non. Surtout le petit, il est aux anges, lui qui ne rêve que d'avoir un chien. D'ailleurs, il lui a donné tout son gâteau au chocolat: c'est dire!..."
On se regarde sans un mot sans doute, mais sûr qu'on ne pense pas la même chose.