Chère inconnue,                                                                                                 
Je vous ai vue hier matin à la terrasse du Café des Arts. Vous buviez je crois une tasse de thé au jasmin. Ou peut-être n'était-ce qu'une effluve de votre eau de toilette? Cette suave odeur à laquelle je suis si sensible m'a fait tourner la tête afin de voir quelle en était l'origine. C'est pour cela que je vous ai remarquée.

Vous étiez de dos, un foulard de soie bleu glycine négligemment jeté sur vos épaules dissimulant à peine la peau finement bronzée de votre nuque. Dans cette échancrure, les mèches les plus longues de votre chevelure ondoyaient avec nonchalance au moindre souffle de ce vent si particulier de mai. Vous portiez une veste de lin. Je ne sais pourquoi, aux autres tables, les gens semblaient tous être vêtus de gris, lourds manteaux de mauvais drap, costumes mal taillés.
Ils semblaient tous si lourds, oui, et vous si légère!...

Quelques instants plus tard, lorsque je suis repassé devant cette terrasse, vous n'y étiez plus. J'ai cru deviner encore une vapeur de votre parfum flottant dans l'air. Votre place restée vide était pour moi comme une invitation à m'y installer; ce que je fis. J'ai commandé un thé au jasmin. Le garçon m'a dévisagé d'un air amusé tandis qu'il débarrassait le cendrier où se consumait encore votre cigarette abandonnée. Sur le filtre, la marque nacrée déposée par vos lèvres. Je ne pus m'empêcher de demander aussitôt au serveur de quoi écrire. Lorsque je me levai, je lui remis cette missive.
Vous êtes une habituée de ce lieu, puisque le garçon, après avoir un peu insisté, m'a dit que vous vous appeliez Jasmine.
Mais sachez, chère inconnue, que le ciel pour moi a été plus bleu, le soleil plus chaud, et mon coeur plus heureux.

Permettez que je vous dise merci.

Un passant ordinaire.


***


A Vous Monsieur,
..
A vos mots parfumés..
A cette missive ..
de bon matin..
Entre mes mains..



Monsieur,

A l'endroit même où nos regards se sont croisés par ce frileux matin de ce beau mois de mai, je reçois en cette douce heure votre missive que le serveur s'est empressé de me remettre, avant que ne s'en dissipe l'odeur de rose, qui s'en dégage naturellement...
Quelle ne fut pas ma surprise, en vous lisant du bout des yeux, de découvrir ces images qui font de moi, un peu votre Muse...
Moi qui ne suis qu'une passante, inconnue discrète et anonyme!
Comment imaginer que vous m'ayez remarquée devant une simple tasse de thé.?...

Je vous souris Monsieur devant une telle envolée,
Les vapeurs sûrement de cette tisane parfumée
Qui vous aurait délicieusement comme un peu, fait tourner la tête.
Ou bien serait-ce alors, que vous auriez été troublé,
Ou pourquoi pas même attiré par le joli jeu de mes gambettes...

Quoi qu'il en soit,
Monsieur,

Je suis touchée par ce portrait de moi que vous posez,
Dans un regard, m'imaginer, deviner tout ce qui peut se cacher,
Se pourrait-il que je devienne une de vos icônes préférées.

Prenez mes mots Monsieur, comme taquinerie gracieuse,
A votre esquisse, subtile et délicate,
Je rends les armes contre un sourire
D'une femme éprise par la couleur de votre arôme..

A la terrasse d'un café,
A l'ombre d'un peuplier,
Où chaque jour,
A la même heure,
Je Vous attendrai..

Jasmine.


***


Chère Jasmine,

Décidément, je crois que nous allons prendre Roland (c'est bien ainsi qu'on l'appelle, je crois?) comme boîte aux lettres. Il est charmant, ce garçon et très serviable, et surtout, je pense que ce rôle discret mais si important l'amuse. Jouons encore un moment à nous cacher l'un de l'autre. J'imagine qu'alors notre rencontre, si elle doit jamais avoir lieu, n'en sera que plus intense, car infiniment désirée.
Vous me parliez de rose.
En effet, la rose fait partie de mon univers quotidien. Non que je m'en parfume intentionnellement, mais il se trouve que je travaille dans une roseraie. On dit alors rosiériste plutôt qu'horticulteur, car je me plais à inventer de nouvelles variétés. Vous dirais-je qu'en panne d'inspiration, je me désespérais de trouver un nom à ma nouvelle création? Et lorsque je suis passé à votre insu l'autre jour derrière vous, ce fut la révélation: cette rose qui était sur le point d'éclore (nous sommes en mai, détrompez vous), dont l'ourlet des pétales semblait se colorer d'un soupçon de bleu pâle à l'image de votre foulard, et dont le parfum tant espéré se rapprochait de celui du jasmin fraîchement cueilli, ne pouvait porter qu'un nom. Jasmine était née!!!
Veuillez croire en ma très sincère émotion.

François, le rosiériste...


***



Le temps passe si vite...
Et pourtant,
A Vous attendre, les jours semblent de longues nuits...

En ce joli mois de Mai, le ciel est si bas dans mon ventre,
Que je n'y vois que nuages assombrissant le doux soleil de printemps...

Vous me parlez des roses, fleurs si chères à mon cœur,
Leur parfum m'enveloppe d'un émoi sans pareil,
Et je vous aperçois cueillir la plus belle,
Me l'offrir tendrement, du bout d'un timide sourire,
Moi l'inconnue passagère, éphémère passante,
Dans votre roseraie emplie de tant de merveilles...

Je savoure ici, ces quelques mots de Vous...
Et c'est tout en vous espérant, dans une prochaine missive...
Que je vous adresse sur ce papier parfumé aux éclats de jasmin...
Mes plus belles épistolaires pensées...

Bien a vous,

Jasmine.


***


Ma mie,
Que me parlez-vous donc de votre ventre alors que je ne sais encore rien de votre minois, ni vous du mien? Vous me parlez de noirs nuages quand je vous parle de roses! Et si cependant je devine votre émoi, vous ne savez presque rien encore du mien! Ne vous dévalorisez pas, qui n'êtes pas une simple passante éphémère, pour reprendre vos mots.
J'ai aperçu votre chevelure si soignée aux discrets reflets d'or mêlés de roux, tombant sur votre écharpe bleu-mauve. Peut-on être triste par un si beau matin de mai? Je n'ai pu voir vos jambes tant il y avait de monde sur cette terrasse, mais je les devine fines et vives, d'un grain satiné et au velouté si séduisant à une main masculine. Mais, pardonnez-moi, je m'égare: la compagnie des roses exacerbe le toucher sans pour autant le combler pleinement.
J'attends bien sûr votre réponse et si d'aventure mes pas devaient me mener là où vous êtes, j'en serais ravi.
Chaleureusement
Le rosiériste.


***


Mon doux parfum,

Je dois vous avouer que votre silence m'inquiète. Peut-être m'avez-vous trouvé vulgaire dans ma dernière lettre et que vous ne sachiez quelle suite donner à nos échanges? Sachez que j'en serais fort contrarié, tout en restant compréhensif. Peut-être ne l'avez vous simplement pas eue? Mais je dois aussi vous faire part d'un certain trouble concernant l'attitude de Roland.
Quand je lui ai remis ma dernière missive, il m'a dévisagé comme on fait d'un inconnu. Un instant, j'ai même cru qu'il ne prendrait pas l'enveloppe que je lui tendais, puis s'est mis à bredouiller quelques mots que je n'ai pas compris sur l'instant. Cette scène ô combien grotesque m'a semblé durer une éternité bien qu'il ne s'agisse que d'une fraction de seconde. A bien y réfléchir par la suite, je crois qu'il voulait parler de service. Demandait-il de l'argent? M'annonçait-il qu'il faudrait y mettre un terme? Je ne sais.
Toujours est-il que, comme vous me le suggériez, je suis repassé à la terrasse du café. Je ne vous y ai point vue, ni lui non plus d'ailleurs, et c'est pourquoi je laisse ce courrier entre les mains du patron, comme on jette une bouteille à la mer.
Peut-être mon message vous parviendra-t-il?
Je pense à vous.
Le rosiériste.


***


Cher Ami ...
Quelques mots, quelques notes de Vous à Moi... peut être un peu froids mais toujours chauds dans mon coeur ..

Un petit voyage à Paris m'éloigne doucement de Vous..
quelques jours...
Je ne pouvais cependant vous laisser sans nouvelle de moi trop longtemps...
Je ne dispose que de quelques minutes ce jour, mais ce temps est pour vous en ces quelques mots, vous trouverez là toute ma tristesse de ne pouvoir vous en dire plus pour l'instant  de ce qui a fait mon départ précipité pour la Capitale..
Cette lettre m'est parvenue à la dernière minute juste avant que le train ne m'emporte ici, à Paris... sous la neige de ce jour...

Jour frileux loin de cette terrasse où j'aimais venir me délasser en sirotant une douce tisane au couleur de rose aux mille éclats... et parfum de jasmin...
Je vous reviendrai sous huitaine, n'ayez aucune crainte cher Ami..
A ce courrier je joins toute la délicatesse de ma plume fébrile de ne pouvoir continuer cet échange...

A très bientôt,je vous enverrai les dernières nouvelles avec toute ma diligence...

Affectueusement bien à vous...
Inconnu d'une roseraie où j'aimerais encore longtemps me promener et respirer les effluves de ces fleurs qui me tiennent tant à cœur... à votre bras je l'espère...

Votre Jasmine un peu chagrine ce jour...

Au bord d'un encrier enneigé.


***


Voici ma chère Jasmine la lettre dont je suis sûr qu'elle ne vous parviendra jamais. Celle qu'on écrit mais qu'on n'enverra pas.
J'ai mené ma petite enquête, voilà tout.
Plusieurs fois je suis passé et repassé devant la terrasse de ce maudit café. Ne vous y revoyant plus, ni Roland, j'ai demandé au patron s'il savait quelque chose. Il m'a dit qu'il était désolé, qu'il avait été obligé de renvoyer Roland, car il y avait eu plusieurs fois usurpation d'identité entre lui et son frère jumeau qui se trouve être votre père. Il suppose que c'est celui-ci qui a décidé de mettre fin à nos échanges de lettres.
Je ne sais si, sachant tout ça, vous vous êtes amusée de moi, ou si votre père dont je ne connais pas le nom et votre oncle Roland ont, tel Janus bifrons, sur vous le pouvoir de choisir qui peut vous rencontrer.
Dorénavant, je vais m'efforcer de faire croître et se multiplier cette rose que je continuerai en souvenir de vous à nommer Jasmine. Elle embaume la serre où je la cultive comme jamais aucune rose ne l'a fait.
C'est aussi le temps des glycines, et, plutôt que de pleurer sur cette belle histoire, je me plais à repenser encore à votre nuque, vos cheveux et votre foulard.
Bien à vous, à jamais.


***


De retour de Paris..
Mon Cher Ami..

Me revoilà enfin auprès de Vous, ..
Ces quelques jours si loin de nos échanges m'ont paru tellement interminables, ne pouvoir vous lire et pas même vous écrire a été pour moi... une véritable déchirure...

Ma surprise fut grande à trouver vos mots, ce matin, cette dernière lettre, vos notes, comme un peu déchirées...
Je me dois, je le sais, quelques explications concernant mon départ quelque peu précipité...
Mais je ne voudrais pas vous blesser par les miens en retour...

M'oublier vous devez...
Contre ma volonté... bien sûr mais Nous oublier serait la meilleure chose à faire pour retrouver la sérénité que l'on se doit...
Ne me demandez pas de vous donner de plus amples explications...
J'en serais incapable aujourd’hui..
Je vous demanderai donc de ne plus correspondre avec Moi..
je pars pour un autre voyage dont le retour me semble improbable..
Sachez, Monsieur, que tout ceci bien évidemment est contre ma volonté...

Je vous espérais tant, mon cœur est à ce jour chamboulé entre deux ...
Vous resterez quoiqu'il en soit dans mes pensées les plus roses..

Bien à Vous, Inconnu
Avec toute mon affection...

Jasmine


***


Ma rose, mon jasmin, ma Jasmine,

Je ne sais comment dire à nouveau, et quand je parle de vous, je ne sais si je parle de fleurs, de parfum ou de femme. Peut-être les trois sont-ils indéfectiblement liés...
La seule chose que je sache est que nous nous quittons avant même de nous être vus, mais je crois que nous nous sommes quand même rencontrés.
Et vous voilà repartie dans un autre voyage à l'issue incertaine. Je n'ose imaginer qu'il s'agit de visiter les rivages de la mort.
Mais quoi que vous fassiez, où que vous alliez, vous serez pour toujours en mon cœur comme un soleil au beau matin de mai.
Vous dirais-je adieu? Sans doute, car je sais que Dieu est dans la royaume des fleurs éternelles.
Permettez que je vous embrasse pour la première fois, pour la dernière fois.
Votre amour de jamais.

P.S. : je dépose ce mot dans ce petit café. Demandez au nouveau garçon qui remplace votre oncle; il s'appelle Jean, et, n'y voyez surtout pas malice, c'est mon frère jumeau...


***


Quelques milliard d'Années...après..
Des mois et des Années interminablement longues..

Sans vous.

Et je suis repassée ,
A la terrasse de ce café,
Ou l'on s'était croisé Jadis..

Le parfum de Vos roses,
Se jouait toujours de Moi,
Comme la saveur du Jasmin,
S'était posée sur vous...
En ces tendres matins,
Ouùvous et Moi échangions nos regards...
Aujourd'hui disparus
À jamais...

Dans mon dernier soupir,
Qui sera pour Vous...
Quelques derniers mots,
Mon ultime sanglot..

Une Jasmine qui se meurt..
Avec le temps ..
Encore..
De Vous je pleure ...

Jasmine.
(in "(B)rêves de vie")