J’attends. La météo ne cesse de le répéter depuis plusieurs jours: le froid arrive.
J’ai fait provision de bois dans la maison, j’ai mis la voiture à l’abri. À l’étage, j’ai fermé les volets et mis des bourrelets aux fenêtres. Ils ont annoncé: grosses chutes de neige pendant deux jours, puis baisse notable des températures avec établissement de vents de secteur N/N-E. Je les connais bien, ces vents-là, ceux qui s’infiltrent partout, qui useraient même les pierres, qui soulèvent la neige et la projettent inlassablement dans le coin de la cour. Elle s’accumule pour former une congère qui bloque le garage et le portail. Plus d’issue. Réclusion.
Les sapins sifflent leur souffrance, les chênes craquent sous le poids de la neige, le paysage, pourtant si bucolique au printemps, disparaît.
Et c’est le moment où l’on voit les bêtes sortir de la forêt, s’aventurer près des maisons, bousculer la clôture des jardins et fouiller la terre à la recherche d'une maigre pitance.
J’ai fait aussi provision de victuailles. Ce n’est pas la première fois que ça arrive. Dans les premiers temps que j’étais ici, je me suis fait avoir plusieurs fois: je n’y croyais pas. Je me disais: c’est pour faire peur, mais avec une bonne pelle à neige et un gros sac de sel, je devrais bien y arriver. Et puis, au fil des ans, je me suis rendu à l’évidence: la lutte était trop inégale, je ne m’y prenais pas de la bonne manière. Alors maintenant, je fais le dos rond, ou profil bas, comme on dit.
Mais je me fous de ce qu’on dit! Je suis le siège, ou le jouet, de terreurs ancestrales. Je sais lorsque le froid commence à mordre ce pays, il ne lâche pas. C’est comme ça: c’est lui qui décide. Et lorsqu’il relâche enfin son étreinte, on compte les morts. Alors voilà, je suis prêt. J’attends.