J'habite au bord d'un petit chemin communal qui mène à une forêt. Un peu plus loin, après un coude, il plonge dans l'épaisseur des arbres. C'est le royaume du renard, du blaireau, du chevreuil et du sanglier. On soupçonne même parfois l'approche furtive d'un lynx.
Après avoir traversé une sapinière, on arrive dans une grande clairière où sont disposées de larges tables en bois. Le chemin, jusqu'alors carrossable, s'arrête sans crier gare sur une sorte de parking de terre grossièrement empierrée. Le promeneur non averti fait demi-tour et rate le principal. Car au fond de cette clairière se trouve un petit passage entre des buissons de houx et un sentier mène, en serpentant au milieu d'impressionnants blocs de granit, vers un lac secret et magique où l'on dit que jadis une dame s'y étant baignée toute nue par une nuit de pleine lune en est ressortie dotée de pouvoirs de guérisseuse. Mais aussi que les malheureuses qui s'y sont essayées après ont péri noyées...
En face de ma maison, un autre chemin descend en pente douce jusqu'à un groupe de maisons basses en bordure de prés bien orientés. L'herbe y est grasse et brebis, vaches et chevaux se côtoient paisiblement. La pente devient alors plus rude jusqu'à atteindre une petite retenue d'eau et le bief d'un ancien moulin. Les eaux claires du ruisseau bondissent depuis un déversoir et s'en vont en éclaboussant des brassées de fougères et des iris d'eau. Les gouttelettes s'y accrochent un instant les font trembloter comme agitées de frissons humides. LAu levant comme au couchant, le fin brouillard qui règne alentours se pare d'un discret arc-en-ciel. Les soirs d'été, des hirondelles viennent gober des moucherons à la surface de l'eau et, sans arrêter leur vol capricieux, elles se désaltèrent en rasant la petite cascade. Quand vient l'appel timide et plaintif de la hulotte, au moment où le soleil disparaît derrière la colline, des hérissons sortent de leurs cachettes et viennent se gaver de limaces dont les fossés humides regorgent. L'hiver, je regarde souvent vers le bas de ce vallon. Les nuits y sont plus froides qu'ailleurs, les gelées plus précoces. La brume empêche souvent de voir les maisons et, n'était l'odeur des fumées de bois, on pourrait croire qu'aucune âme ne vit dans ce paysage vide.
À l'aval du moulin, quelques prés par endroits marécageux bordent le ruisseau. Il s'engouffre dans la forêt par une petite cascade pour ensuite disparaître sous une masse compacte de fougères. Plus loin, un peu assagi, il alimente le lac magique.
La clarté de ses eaux bondissantes lui vaut son nom: l'Argentalet.