L'histoire du Toine et de la Câline
Alors voilà, faut que je vous dise. Vous connaissez l'Hâte-mongin, É-ventes, ou la Mouille-Margot? Non, point; cherchez pas: c'est normal. Sur les cartes d'état-major, c'est marqué la Hâte Moulin, les Ventes, la Mouille marigot. Mais nous, ici, c'est pas comme ça qu'on dit. Avec des états-majors de cet acabit, c'est normal qu'on perde les guerres. Enfin bref, je vais vous raconter l'histoire du Toine et de la Câline.
Dans le pays, y avait deux Jacqueline: la Jacotte, qu'a fini bigote, et la Câline, une chouette gamine. Et puis, y avait le Toine; ils s'aimaient bien tous les deux, gamins. Quand c'était pas lui, c'était elle qu'allait le chercher et on les voyait toujours ensemble. Enfin, pas à l'école, parce que ça se faisait pas à l'époque, mais tout le reste du temps, oui. Encore que, pas à l'église non plus: il y avait les dames et les filles d'un côté, les hommes et les gars de l'autre. Mais même là, ils s'arrangeaient toujours pour être au bord, de chaque côté de la travée, et passaient plus de temps à se regarder qu'à écouter le curé. Un jour d'ailleurs, le brave homme a bien essayé de dire quelque chose, mais il a vite compris qu'il n'y avait rien à faire.
Le Toine, il habitait l'hameau de l'Hâte-mongin avec son père, la mère étant morte en couche, et un commis. La Câline, elle, était d’É-ventes, un lieu-dit où y avait qu'une ferme. Elle vivait avec sa mère, son frère, le Robert, et un gars de l'Assistance qu'avait toujours été là. Le père était au lit ou dans un fauteuil depuis qu'il était tombé d'un char à foin.
Entre les deux maisons, y avait que cinq minutes par les bois; par la route: ils savaient pas, fallait pas tout seul. Ils ont grandi comme on fait chez nous, on fait leur communion en même temps. Puis un jour la mère est devenue veuve. Et dure. Alors elle a dit à sa fille: maintenant, avec le Toine, ça suffit, c'est fini.
Le même jour, c'est le père du Toine qu'a dit: t'es grand maintenant, tu vas avoir ton certificat. Tu restes avec moi: on n'est pas trop de nous trois pour tenir tout ce qu'on a. Alors les filles, on verra ça sera après.
Le Toine serra les poings et les fourra dans ses poches. La Câline, elle, serra les siens jusqu'au sang puis est allée dans sa chambre sans souper. Le lendemain, la chambre était vide...
On chercha, on appela, puis on s'est remis au travail. Bien sûr, on avait été voir du côté de la Mouille Margot, un vilain endroit. Oh, l'été, c'était beau et ça sentait bon à cause de la reine des prés en fleurs. Mais attention, fallait pas s'écarter du chemin, sinon... On ne compte pas le nombre de vaches égarées qui s'y sont noyées, happées dans la vase...
Ce terrain, une sorte de vaste clairière en creux, appartenait aux Breulot, la famille du Toine, depuis trois générations. Mais la vente s'était mal passée avec les Roulet, celle de la Câline. Comme terre, ça ne valait rien du tout, mais l'eau d'été, avec toutes ces spirées, avait des propriétés qu'on connaissait bien dans le pays et le pharmacien du bourg avait des vues sur la parcelle, mais voulait pas acheter en son nom. Comme il était bien avec les Breulot, la mouille est passée sous le nez des Roulet. Depuis, certes, c'était pas la guerre, mais on s'évitait entre adultes: fallait pas se mélanger, comme on dit par ici.
Après le départ de la Câline, la vie a repris son cours. Le Toine est devenu grand et fort. Il a eu son certificat d'études avec une mention. Et puis, ça a été le premier du canton à avoir un tracteur. Un jour, il a reçu une carte postale de Suisse. Il y avait, dans les alpages, au milieu des grandes gentianes jaunes, de belles vaches brunes, avec de grandes cornes et des cloches accrochées au cou. Elle avait juste mis son nom.
Quand le père est mort, le Toine s'est trouvé bien embarrassé avec le commis à faire tourner la boutique. Ça a été dur. Puis peu de temps après, ça a été le tour de la mère de la Câline.
Alors, comme il était pas bête, il s'est un peu rapproché du Robert, qu'était pas bête lui non plus. Ils ont commencé par se dire bonjour au café. Puis, cette année-là, il y a eu beaucoup de foin. Alors, ils ont fait ensemble.
Au mois de mars qui a suivi, un jour qu'il déjeunait au soleil devant la porte de la cuisine, il vit revenir les hirondelles. Mais cette fois-ci, elles étaient pas venues toutes seules: au bout du chemin, y avait la Câline, avec son baluchon.
Ben je vais vous dire, moi qui le connais bien mon Toine, je sais qu'il a pas pleuré le jour qu'elle est partie, parce qu'il devait bien savoir que ça se passerait comme ça, mais quand elle est revenue..., là, je garantis pas!
Dans le pays, y avait deux Jacqueline: la Jacotte, qu'a fini bigote, et la Câline, une chouette gamine. Et puis, y avait le Toine; ils s'aimaient bien tous les deux, gamins. Quand c'était pas lui, c'était elle qu'allait le chercher et on les voyait toujours ensemble. Enfin, pas à l'école, parce que ça se faisait pas à l'époque, mais tout le reste du temps, oui. Encore que, pas à l'église non plus: il y avait les dames et les filles d'un côté, les hommes et les gars de l'autre. Mais même là, ils s'arrangeaient toujours pour être au bord, de chaque côté de la travée, et passaient plus de temps à se regarder qu'à écouter le curé. Un jour d'ailleurs, le brave homme a bien essayé de dire quelque chose, mais il a vite compris qu'il n'y avait rien à faire.
Le Toine, il habitait l'hameau de l'Hâte-mongin avec son père, la mère étant morte en couche, et un commis. La Câline, elle, était d’É-ventes, un lieu-dit où y avait qu'une ferme. Elle vivait avec sa mère, son frère, le Robert, et un gars de l'Assistance qu'avait toujours été là. Le père était au lit ou dans un fauteuil depuis qu'il était tombé d'un char à foin.
Entre les deux maisons, y avait que cinq minutes par les bois; par la route: ils savaient pas, fallait pas tout seul. Ils ont grandi comme on fait chez nous, on fait leur communion en même temps. Puis un jour la mère est devenue veuve. Et dure. Alors elle a dit à sa fille: maintenant, avec le Toine, ça suffit, c'est fini.
Le même jour, c'est le père du Toine qu'a dit: t'es grand maintenant, tu vas avoir ton certificat. Tu restes avec moi: on n'est pas trop de nous trois pour tenir tout ce qu'on a. Alors les filles, on verra ça sera après.
Le Toine serra les poings et les fourra dans ses poches. La Câline, elle, serra les siens jusqu'au sang puis est allée dans sa chambre sans souper. Le lendemain, la chambre était vide...
On chercha, on appela, puis on s'est remis au travail. Bien sûr, on avait été voir du côté de la Mouille Margot, un vilain endroit. Oh, l'été, c'était beau et ça sentait bon à cause de la reine des prés en fleurs. Mais attention, fallait pas s'écarter du chemin, sinon... On ne compte pas le nombre de vaches égarées qui s'y sont noyées, happées dans la vase...
Ce terrain, une sorte de vaste clairière en creux, appartenait aux Breulot, la famille du Toine, depuis trois générations. Mais la vente s'était mal passée avec les Roulet, celle de la Câline. Comme terre, ça ne valait rien du tout, mais l'eau d'été, avec toutes ces spirées, avait des propriétés qu'on connaissait bien dans le pays et le pharmacien du bourg avait des vues sur la parcelle, mais voulait pas acheter en son nom. Comme il était bien avec les Breulot, la mouille est passée sous le nez des Roulet. Depuis, certes, c'était pas la guerre, mais on s'évitait entre adultes: fallait pas se mélanger, comme on dit par ici.
Après le départ de la Câline, la vie a repris son cours. Le Toine est devenu grand et fort. Il a eu son certificat d'études avec une mention. Et puis, ça a été le premier du canton à avoir un tracteur. Un jour, il a reçu une carte postale de Suisse. Il y avait, dans les alpages, au milieu des grandes gentianes jaunes, de belles vaches brunes, avec de grandes cornes et des cloches accrochées au cou. Elle avait juste mis son nom.
Quand le père est mort, le Toine s'est trouvé bien embarrassé avec le commis à faire tourner la boutique. Ça a été dur. Puis peu de temps après, ça a été le tour de la mère de la Câline.
Alors, comme il était pas bête, il s'est un peu rapproché du Robert, qu'était pas bête lui non plus. Ils ont commencé par se dire bonjour au café. Puis, cette année-là, il y a eu beaucoup de foin. Alors, ils ont fait ensemble.
Au mois de mars qui a suivi, un jour qu'il déjeunait au soleil devant la porte de la cuisine, il vit revenir les hirondelles. Mais cette fois-ci, elles étaient pas venues toutes seules: au bout du chemin, y avait la Câline, avec son baluchon.
Ben je vais vous dire, moi qui le connais bien mon Toine, je sais qu'il a pas pleuré le jour qu'elle est partie, parce qu'il devait bien savoir que ça se passerait comme ça, mais quand elle est revenue..., là, je garantis pas!
(in "(B)rêves de vie")
Imprimer | Commenter | Articlé publié par François Boussereau le 26 Fév. 16 |