Avant, j'aimais conduire. La nuit surtout, sur les routes désertes. La sensation que j'avais était celle de l'infini. La lumière jaune des phares qui se perd au loin me donnait l'impression de traverser un néant sans cesse renouvelé: la nuit, il n'y a pas d'horizon. Et puis il y avait cette joie intense du point du jour: tout ces paysages traversés sans les avoir vus, ces villages endormis, ces bêtes sauvages furtivement aperçues, ces papillons nocturnes, disparus comme rêve.
Alors un jour, ou plutôt un soir, après le travail, à la veille d'un long week-end, l'idée saugrenue m'est venue de partir vers l'océan. Irrésistible appel. Le temps d'attraper un sac, quelques vêtements, quelque chose à grignoter et à boire, deux ou trois cartes routières, remplir deux jerrycans en plus du  plein et me voilà parti au volant de ma 4L. Connaissant les routes par coeur, passer le Morvan fut chose aisée. Quand je traversai la Loire, il faisait presque nuit. Puis ce furent ces longues lignes droites, ces immenses forêts, ce parcours plus sinueux le long du Cher. Peu avant Tours, je transvasai le premier jerrycan. L'hiver doux laissait la place au printemps. La nuit était belle, claire. Je m'arrêtai à nouveau après avoir passé Nantes. Une aube incertaine commençait à poindre lorsque j'arrivai aux abords d'Audierne. Mes mains tremblaient d'excitation sur le volant et mes yeux, fatigués par cette nuit blanche me piquaient de plus en plus, mais je tins bon.
La pleine lune qui m'avait aidé depuis mon départ allait, elle, bientôt se coucher.
Quand j'atteignis le sémaphore de la Pointe du Raz, je la vis sombrer loin là-bas, derrière l'Île de Sein. Au camping de Lescléden, je dépliai ma tente et m'endormis peu de temps après, vidé, mais tellement heureux!
Puis au fil des années, au fur et à mesure qu'apparaissaient les ceintures de sécurité, les autoroutes de toutes parts, les radars, les rocades, les ronds-points, les gps, mon goût pour la conduite s'émoussa.
Maintenant, je vais à pied, et je sens que bientôt, je m'arrêterai définitivement...