Moi aussi j'ai été moderne! J'étais déjà une petite révolution: fini le café écrasé dans un linge, ou alors broyé au pilon dans le mortier. Grâce à moi, fixé sur la table, ou calé entre les genoux, les grains noirs et brillants étaient réduits en poudre dont on pouvait, à l'aide d'une petite molette dentée, régler la finesse. En tournant la manivelle, le café était entraîné dans une petite meule et tombait dans un tiroir qu'on ouvrait de temps en temps, Ô impatience! pour voir où on en était par rapport à la quantité désirée. L'odeur si forte imprégnait le bois et les enfants aimaient venir me rendre visite en cachette, rien que pour sentir, en se disant: quand je serai grand...
Les années ont passé. Un jour, on m'a préféré un modèle métallique, puis électrique. On m'a oublié. Plus tard, on m'a retrouvé, on a failli me jeter: il s'en est fallu de peu. Finalement, on m'a nettoyé, ôté les traces de la rouille qui avait envahi mes rouages. Maintenant, je trône sur la cheminée parmi mes vieux amis: une lampe Pigeon, un bougeoir en bronze, une statuette de chien d'arrêt en ivoire et une pendulette qui sonne si finement les heures.
Mais le sablier ne coule plus.