J'aime regarder passer les trains. Je n'y peux rien, c'est comme ça. Ça me fait rêver. J'apprends. Je m'installe sur le pont qui enjambe les voies juste à la sortie de la gare. L'hiver, l'endroit est plutôt hostile : la rambarde, les rails, tout cet acier partout inspire le froid. Mais en plein été, lorsque la journée a été particulièrement chaude, il monte du ballast une indéfinissable odeur faite de rouille et de vieilles graisses qui témoigne de la longue histoire de ces voies.
Combien de gens sont passés par là dans les trains ? Et combien de piétons sur ce pont ne se sont jamais arrêtés pour rêvasser de voyages et de lumineux horizons ? Bien sûr, il y a ces trains du matin qui sentent le dentifrice et l'eau de toilette et, le soir, la sueur et la fatigue. Mais tous les autres, ceux qui sont faits pour aller vite, pour aller loin, sont chargés d'impatiences et d'espoirs. Au retour, ils déversent des torrents de nostalgies et de souvenirs. Je devine les déchirements des adieux, les joies des retrouvailles, les bagages trop lourds, trop encombrants ; et les enfants qu'il faut tenir par la main.
Mais dans ce flot de voyageurs, il y en a toujours un ou une, les mains dans les poches, nez en l'air, qui réussit quand même à attraper le dernier wagon, juste au moment où le train s'ébranle. Alors un jour, moi aussi, je sauterai dans celui qui va le plus loin, au-delà de toutes les frontières, sans billet ni bagage...