Un jour, j'ai voulu écrire.
Un jour, j'ai voulu écrire. Je suis allé à la petite librairie papeterie juste en bas de chez moi. J'ai longuement fouillé dans les étagères pour trouver le plus beau papier. C'est très important, le choix du papier: lisse, mais pas trop; blanc, mais pas trop; satiné plutôt que mat ou brillant. Puis j'ai cherché le stylo idéal. C'est très important le stylo: d'un diamètre ni trop fin ni trop gros, il faut l'avoir bien en main, un peu lourd mais avec une plume plutôt souple. C'est très important, les pleins et les déliés: c'est le poids, la terre, les racines, puis l'envol, la lumière, la liberté...
Mes emplettes faites, je remontai chez moi et me mis à réfléchir. Qu'avais-je donc tant à dire? Quel message à communiquer à autrui? Comme je ne trouvais pas de réponse, je me dis que je m'y prenais sans doute mal. Alors je sortis prendre l'air. Au bout d'un moment, je ressentis un impérieux besoin d'aller voir ailleurs et de me surprendre moi-même. D'inventer quelque chose. Machinalement, je pris le chemin de la gare et un billet pour le prochain train. Quand il arriva, sans hésiter, je montai dedans et, ayant trouvé une place suffisamment confortable, je m'endormis assez rapidement, bercé que j'étais par le mouvement du wagon et par mes désirs de liberté. Je me réveillai au terminus. C'était Paris. Mais Paris ne me satisfaisait pas pour commencer à écrire. Il me fallait plus ample, plus concret.
Je changeai de gare et partis vers la mer. Là, les vastes flots me parleraient, j'en étais sûr. Et en effet, arrivé là-bas, au port, plusieurs bateaux étaient à quai, prêts à partir quand la marée serait favorable. Je montai dans l'un d'eux à l'instant où il appareillait. Rude journées, rude travail, le sel au fond de la cale et le poisson qu'on entassait dedans, la houle qui vous agresse de toutes parts. Jamais je n'avais senti la mort rôder aussi près autour de moi. Épuise, mais vivant quand même, après le retour au port, je visitai la campagne alentour, admirai les bleus lavés et infinis du ciel, retournai voir encore et encore la blancheur les écumes de mer sur les sables blancs. Puis à nouveau dans les terres, m'étonnai des petites maisons à l'ancienne avec leurs colombages peints en rouge sombre, des fines chapelles aux clochers pointus, les vieux vergers à pommes où paissaient des vaches grasses à souhait, mamelles gonflées le soir, et dont on tirait un lait presque jaune de crème.
Oh, les puissants fromages, le beurre si parfumé, le cidre doré à la mousse si généreuse! Et que dire de tous ces gratins, cassolettes, entremets, tous ces fumets de poisson, de fruits de mer, ces goûts de pré salés. Je découvrais le pays au fur et à mesure que j'en découvrais la cuisine. Et je rencontrais aussi des gens simples, bons et bien vivants, qui m'offraient leurs savoir-faire autant que leurs inquiétudes face à l'avenir, eux qui voyaient bien, à grands coups de télévision, que leur passé s'effilochait. Je m'attardai encore un peu chez eux, puis un jour, je repensai à chez moi, au retour.
Mon retour? Je le fis en prenant bien mon temps, parfois à pied, parfois en autocar, en courtes étapes, de villages en bourgs. Je traversai des cantons, des forêts, des rivières, en évitant soigneusement les grandes routes, les grandes métropoles où j'imaginais ne pas y avoir ma place. Et je finis par retrouver mon pays, ma terre. J'avais presque du mal à les reconnaître tant mon regard sur les choses avait changé, s'était transformé à mon insu.
Arrivé chez moi, je m'assis à ma table, pris lentement mon papier, mon stylo et me mis à écrire. Tout de suite, j'aimai le bruit soyeux de la plume qui frottait la feuille. Je regardais le chemin parfois tortueux, parfois souple, ou vif que l'encre dessinait. J'y voyais les boucles de la Seine, les rouleaux venant s'écraser sur les sables blancs de la Côte d'Opale, les dessins géométriques des maisons à colombages, la pointe des humbles clochers dans les villages traversés. En tournant une page, je sentis le souffle léger du vent, une nuit où je m'étais endormi à la belle étoile sous une pommeraie.
Mon coeur se mettait à battre comme la houle qui faillit faire chavirer plusieurs fois le bateau. Déferlement de mots, d'images, de sensations. Tout remontait à la surface du souvenir. Tout semblait s'être organisé dans ma tête avant même d'y avoir pensé. Et c'est donc tout naturellement que j'avais commencé le texte comme ceci: "un jour, j'ai voulu écrire..."
Mes emplettes faites, je remontai chez moi et me mis à réfléchir. Qu'avais-je donc tant à dire? Quel message à communiquer à autrui? Comme je ne trouvais pas de réponse, je me dis que je m'y prenais sans doute mal. Alors je sortis prendre l'air. Au bout d'un moment, je ressentis un impérieux besoin d'aller voir ailleurs et de me surprendre moi-même. D'inventer quelque chose. Machinalement, je pris le chemin de la gare et un billet pour le prochain train. Quand il arriva, sans hésiter, je montai dedans et, ayant trouvé une place suffisamment confortable, je m'endormis assez rapidement, bercé que j'étais par le mouvement du wagon et par mes désirs de liberté. Je me réveillai au terminus. C'était Paris. Mais Paris ne me satisfaisait pas pour commencer à écrire. Il me fallait plus ample, plus concret.
Je changeai de gare et partis vers la mer. Là, les vastes flots me parleraient, j'en étais sûr. Et en effet, arrivé là-bas, au port, plusieurs bateaux étaient à quai, prêts à partir quand la marée serait favorable. Je montai dans l'un d'eux à l'instant où il appareillait. Rude journées, rude travail, le sel au fond de la cale et le poisson qu'on entassait dedans, la houle qui vous agresse de toutes parts. Jamais je n'avais senti la mort rôder aussi près autour de moi. Épuise, mais vivant quand même, après le retour au port, je visitai la campagne alentour, admirai les bleus lavés et infinis du ciel, retournai voir encore et encore la blancheur les écumes de mer sur les sables blancs. Puis à nouveau dans les terres, m'étonnai des petites maisons à l'ancienne avec leurs colombages peints en rouge sombre, des fines chapelles aux clochers pointus, les vieux vergers à pommes où paissaient des vaches grasses à souhait, mamelles gonflées le soir, et dont on tirait un lait presque jaune de crème.
Oh, les puissants fromages, le beurre si parfumé, le cidre doré à la mousse si généreuse! Et que dire de tous ces gratins, cassolettes, entremets, tous ces fumets de poisson, de fruits de mer, ces goûts de pré salés. Je découvrais le pays au fur et à mesure que j'en découvrais la cuisine. Et je rencontrais aussi des gens simples, bons et bien vivants, qui m'offraient leurs savoir-faire autant que leurs inquiétudes face à l'avenir, eux qui voyaient bien, à grands coups de télévision, que leur passé s'effilochait. Je m'attardai encore un peu chez eux, puis un jour, je repensai à chez moi, au retour.
Mon retour? Je le fis en prenant bien mon temps, parfois à pied, parfois en autocar, en courtes étapes, de villages en bourgs. Je traversai des cantons, des forêts, des rivières, en évitant soigneusement les grandes routes, les grandes métropoles où j'imaginais ne pas y avoir ma place. Et je finis par retrouver mon pays, ma terre. J'avais presque du mal à les reconnaître tant mon regard sur les choses avait changé, s'était transformé à mon insu.
Arrivé chez moi, je m'assis à ma table, pris lentement mon papier, mon stylo et me mis à écrire. Tout de suite, j'aimai le bruit soyeux de la plume qui frottait la feuille. Je regardais le chemin parfois tortueux, parfois souple, ou vif que l'encre dessinait. J'y voyais les boucles de la Seine, les rouleaux venant s'écraser sur les sables blancs de la Côte d'Opale, les dessins géométriques des maisons à colombages, la pointe des humbles clochers dans les villages traversés. En tournant une page, je sentis le souffle léger du vent, une nuit où je m'étais endormi à la belle étoile sous une pommeraie.
Mon coeur se mettait à battre comme la houle qui faillit faire chavirer plusieurs fois le bateau. Déferlement de mots, d'images, de sensations. Tout remontait à la surface du souvenir. Tout semblait s'être organisé dans ma tête avant même d'y avoir pensé. Et c'est donc tout naturellement que j'avais commencé le texte comme ceci: "un jour, j'ai voulu écrire..."
Imprimer | Commenter | Articlé publié par François Boussereau le 15 Juin 17 |